Atelier Voix Chantée n°2



Analyse acoustique d'une technique vocale d'ornementation : 
le Tahrir Iranien


Intervenante :  Michèle Castellengo, directrice de recherches, d'Alembert - LAM
Date : 12/02/08

En collaboration avec Jean During (CNRS, Laboratoire d'Ethnomusicologie du Musée de l'Homme) et Sylvain Lamesch (Doctorant, LAM-IJLRDA).


Présents : Christophe d'Alessandro, Pascal Bezard, Michèle Castellengo, Gérard Chevaillier, Boris Doval, Marie-Agnès Faure, Susanne Fürniss, Loïc Kessous, Sylvain Lamesch, Lucie Notin, Sophie Quattrocchi, Jessica Roda, Bernard Roubeau, Boris Terk. 

Résumé : 
Tout chanteur ou toute chanteuse d’Iran ou d’Azerbaïdjan se destinant à l’art savant du ghazal doit être capable de posséder le Tahir mélismatique [During, 1984]. Cette technique d’appogiature n’est pas seulement un ornement ponctuel mais génère des phrases entières de cascades de notes dont la durée peut atteindre 30 secondes, et dont l’effet évoque en Iran le chant du rossignol (tahrir-e bolboli) et chez les Kurdes celui de la perdrix (Kawk). L’effet acoustique du tahrir se retrouve dans la technique instrumentale, figuré par une petite note à la seconde ou à la tierce supérieure de la ligne mélodique principale. Du point de vue perceptif le tahrir surprend et fascine l'auditeur par sa virtuosité et par l'effet scintillant qu'il produit, difficilement analysable à l'oreille. Grâce à la coopération d'une chanteuse - Mlle Solmaz Badri - invitée au laboratoire par J. During, nous avons pu recueillir un enregistrement sonore de bonne qualité conjointement avec le signal électroglottographique. Les premiers résultats de notre étude sont les suivants : - L’ornement caractéristique du tahrir est dû à l’alternance rapide des mécanismes laryngés M1-M2-M1 produisant un saut de fréquence, pendant une durée très brève (50 à 70 ms). - L'intervalle moyen du saut est une tierce (rapport entre 6/5 et 5/4), et reste stable quels que soient la tessiture et l'intensité de l'émission. - Toute la zone commune aux deux mécanismes, du sol2 (200 Hz) au Do4 (523 Hz) est utilisée. - Dans les passages rapides les ornements se succèdent à une cadence d'environ 6 par seconde. Bien des auteurs font un rapprochement entre le tahrir et le yodel. Bien qu'elles aient en commun la caractéristique du saut de mécanisme ces deux techniques vocales sont très différentes. Une mélodie de yodel se déroule alternativement en M1 et en M2, en usant des sauts intervalliques importants (quinte, sixte, septième) et en opposant systématiquement deux groupes de voyelles (voyelle ouverte pour M1 et fermée pour M2). La mélodie d'un chant de tahrir se développe uniquement en M1. Les emprunts à M2 sont trop courts pour donner une sensation de hauteur précise et l'intervalle dépasse rarement la tierce; il n'existe pas d'opposition vocalique associée aux saut de mécanisme. Le tahrir est un magnifique exemple d'art vocal de la "rupture", à contre-courant des "canons" esthétiques occidentaux qui privilégient une technique de la continuité mélodique. 

Bibliographie : 
Castellengo M., (1991) - Continuité, rupture, ornementation, ou les bons usages de la transition entre deux modes d'émission vocale, in La voix et les techniques vocales, Cahiers de musiques traditionnelles N°4, AIMP, Genève , p.155-165.
During, J., (1984) La musique Iranienne, tradition et évolution., Paris, Recherche sur les civilisations, A.D.P.F. 
During J., (2005) Musiche d'Iran. La tradizione in questione, Milano, Ricordi/BMG. 

Les premiers résultats de cette recherche ont été présentés au Congrès de Musicologie Interdisciplinaire CIM07, à Tallinn (Estonie) [PDF].