Séminaire n°5
Quand les affects confondent parole et musique
Intervenant : Bernard Lortat-Jacob, directeur de recherche honoraire au CNRS, CREM/CNRS
Contact : lortat.jacob(at)free.fr ; http://lortajablog.free.fr/
Date : 11/05/09
Résumé :
Le champ des affects se partage sur le plan sonore entre la langue et
la musique, dans des conditions que je me propose d’analyser. Un modèle
semble à première vue s’imposer, qui donne à la langue une fonction
fortement attributive et faiblement affective, et à la musique, une
fonction fortement affective et faiblement attributive. Trois cas
envisagés permettent de repenser ce clivage classique. La musique,
certes, est liée aux affects, mais pas exclusivement. C’est ainsi que
dans une situation de stricte tradition orale, en Albanie ou en
Sardaigne, les chanteurs (s’)émeuvent en chantant, bien sûr; mais
surtout, ils objectivisent leurs rôles en les rendant audibles, se
reconnaissent des paternités stylistiques et disent en définitive qui
ils sont. La langue, pour sa part, est fondamentalement dotée de
propriétés musicales. Aussi est-ce à partir de contours intonationnels
finement mélodisés qu’une femme sarde, par sa maîtrise de divers
registres phoniques, a la possibilité de désigner ses destinataires
sans même les nommer [je montrerai quelques schémas intonationnels
particulièrement signifiants]. Une autre femme (albanaise, celle-ci)
n’utilise pas les mots de sa langue lorsqu’elle est en famille : elle
babille surtout et organise son discours à partir de petits cris
finement modulés qui se distinguent sémantiquement les uns des autres
par leur profil sonore. La communication affective se voit donc dotée
d’un étrange pouvoir : celui de faire disparaître des clivages
ordinaires et de confondre ce que les champs disciplinaires
ordinairement distinguent : la langue et la musique.
Mots-clés : linguistique, ethnomusicologie, anthropologie, tradition orale, prosodie, pragmatique, acoustique.